Méthode inverse



La thermique est la branche de la physique relative à l'énergie sous forme de chaleur. Elle traite de tous les phénomènes liés à son transfert ainsi qu'à sa modification (absorption ou production). A ce titre elle est souvent couplée à d'autres disciplines telles que la mécanique (des fluides ou du solide), la chimie (combustion, génie des procédés), les sciences de la terre ou encore la biologie. Les modèles développés se révèlent très souvent multi-physique, multi-échelle et fortement non linéaire. On peut alors avoir recours à des méthodes inverses afin d'identifier des conditions aux limites inaccessibles à la mesure, ou encore d'identifier des paramètres. Les travaux présentés dans cette section ont été réalisés au sein de l'équipe Dynamique des Feux du laboratoire IUSTI de l'Université Aix-Marseille.

  • Identification de propriétés de flammes à partir de mesures spectrales
Un modèle de propriétés radiatives de gaz de type 'Statistique par bandes' (SNB) a été couplé à un algorithme génétique (AG). La méthode consiste à déterminer le jeu optimal de paramètres, à savoir la température de la phase gazeuse et les fractions volumiques des espèces chimiques qui la constituent (H2O, CO2, CO et suies), conduisant au meilleur accord entre les prédictions du modèle SNB et les mesures expérimentales. Après validation sur une flamme d'éthanol à la composition connue, la procédure est appliquée à une flamme issue de la dégradation de combustible végétal.
Fig-1a Schéma de l'expérimentation réalisée dans le tunnel à feu du CEREN [1]. Fig-1b Spectres d’émission de flammes de végétation. Expérience (rouge) vs modélisation par algorithme génétique (noir).

Ces travaux, réalisés en collaboration avec l’équipe du Pr. Boulet du LEMTA de Nancy, ont permis de déterminer des compositions moyennes de flammes (température, concentration H2O, CO2, CO et suies) en accord avec la littérature [2]. La méthode utilisée a été améliorée en implémentant le modèle de Curtis-Godson afin de prendre en compte les gradients de température et de concentration au sein de la flamme. Les résultats sont en cours de traitement.


  • Identification des propriétés thermiques et d'inflammation de combustible végétal
Un autre aspect décisif dans la prédiction des incendies de forêts concerne la dégradation thermique et la combustion des éléments fins de végétation, ceux-là mêmes qui propagent le feu. Le processus d’inflammation résulte d’une série d’événements : sous l’effet de la chaleur, le végétal se déshydrate et se dégrade thermiquement. Les produits gazeux de pyrolyse qui s’en libèrent se mélangent avec l’oxygène de l’air pour former un mélange combustible. Dans le contexte des incendies de forêt, l’inflammation est le plus souvent pilotée (proximité du front de flamme ou particule incandescente). La dégradation et la combustion d’éléments de végétation exposés à un flux incident se déroule en quatre étapes qui peuvent être plus ou moins concomitantes, à savoir le séchage, la pyrolyse, l’oxydation du résidu charbonneux (ORC) et les réactions en phase gazeuse. Des expériences d'inflammation pilotée ont été conduites sur le FPA (Fire Propagation Apparatus) de l’université d’Edimbourg (BRE) sur des litières d’aiguilles de pin et de feuilles de chêne kermès de porosité variable soumis à des flux radiatifs incidents représentatifs de ceux rencontrés dans les feux réels. Les mesures réalisées concernent le temps d’inflammation et l’évolution temporelle de la perte de masse (Figure 2a). D'un point de vue de la simulation, la dégradation thermique du lit végétal est régie par un ensemble d'équations aux dérivées partielles. Ces équations sont non linéaires et fortement couplées au travers de termes d'interaction résultant des transfert de masse et d'énergie. Compte tenu de la faible compacité (~0.04) la conduction est négligée devant les transferts radiatifs qui ont lieu au sein du lit. Ces transferts sont traités par une MMC en tenant compte des propriétés radiatives des éléments [5]. Les mécanismes décrit précédemment sont modélisés à l'aide de lois d'Arrhenius. Les simulations directes réalisées ne permettent pas de reproduire le comportement observé expérimentalement. Les constantes cinétiques utilisées, déterminées en ATG, sont inadaptées à l'échelle macroscopique. C'est pourquoi nous avons eu recours à l'identification de ces paramètres par méthode inverse.

    •  Calibration du modèle sur un essai à bas flux
Le modèle développé pour prédire l'inflammation de litières végétales prend en compte les phénomènes de séchage, de pyrolyse et d’oxydation du résidu charbonneux. Les paramètres du modèle ont été obtenus à partir de l'évolution de la masse de l'échantillon avant son inflammation (repérée par la ligne pointillée sur la Figure 2a). Le jeu optimal de paramètres a été calibré par algorithme génétique à partir d’un essai unique à bas flux (13,5 kW.m-2). Ce jeu de paramètre a permis de prédire assez fidèlement l’inflammation pilotée des échantillons sur toute la gamme d’exposition (Figure 2b).



Fig-2a Évolutions au cours du temps de la masse adimensionnée d’un échantillon d’aiguilles de pin et de la teneur en O2 dans la hotte d’extraction pour un flux incident de 20 kW.m^(-2). Fig-2b Comparaison des temps d’inflammation mesurés (carrés) et prédits (triangles) en fonction du flux radiatif incident à l’aide des paramètres calibré à bas flux.

Cette étude a conduit à une meilleure compréhension des phénomènes qui régissent l’inflammation des litières de végétation. Nous avons identifié deux régimes d’inflammation. Un régime contrôlé par la cinétique chimique dans le cas où la végétation est soumise à des hauts flux (>20 kW.m-2) et un régime contrôlé par le phénomène d’oxydation du résidu pour des flux plus faibles.
    •  Extension du modèle à une configuration 3D
 Les paramètres identifiés précédemment sont utilisés pour simuler une configuration où un élément végétal de forme cylindrique est soumis au rayonnement d'une flamme. Le bilan d'énergie prend en compte l'absorption et la diffusion du rayonnement par le milieu ainsi que le refroidissement convectif.

Fig-3 Évolution de la température (en haut), de la masse d'eau (en bas à gauche) et de la masse de combustible végétal (en bas à droite) au cours du temps soumis au rayonnement d'une flamme. Le rayonnement est modélisé par une méthode de Monte Carlo. Les fronts d'évaporation et de pyrolyse correspondent à une diminution de 63% de la masse initiale.


  • Identification des propriétés thermiques de matériaux complexes

On s’intéresse maintenant au comportement d'un composite multicouche recouvert d'une peinture intumescente exposé à des flux incidents de 15 à 60 kW/m² sous cône calorimètre. La réaction d’intumescence est difficile à décrire dans toute sa complexité, on peut cependant identifier les mécanismes prépondérants. Soumis à un flux radiatif incident, la peinture absorbe une part de l’énergie et en transfère une autre par conduction aux couches inférieures. Lorsque la partie exposée au flux atteint une température critique, la pyrolyse commence absorbant une partie de l’énergie, limitant ainsi la chaleur transféré par conduction au substrat. En théorie la réaction produit de la vapeur d’eau, qui refroidit la surface par convection. Ce mécanisme n'est pas considéré ici. La zone de pyrolyse donne naissance à une couche réactive visqueuse. Les gaz produits par la pyrolyse forment des bulles qui grossissent et migrent vers la surface exposée. La diffusion de ces bulles provoque l'expansion qui peut atteindre cent fois l'épaisseur initiale. En continuant à s’échauffer, la couche réactive se solidifie progressivement sous la forme d’un matériau charbonneux inerte et poreux. L'expansion cesse lorsque la totalité du revêtement est carbonisé. Les principales étapes de la réaction d’intumescence sont présentées schématiquement sur la Figure 4.



Fig-4 Principales étapes de la réaction d'intumescence.



La réponse du système est déterminée par résolution de l’équation de la chaleur 1D instationnaire en prenant en compte les phénomènes de pyrolyse (endothermique) et de production de résidu charbonneux (exothermique) à l’aide de lois d’Arrhenius pour simuler la cinétique de ces réactions. Le modèle  prend en compte l’expansion volumique de la peinture due à l’emprisonnement par le résidu charbonneux d’une fraction des produits de décomposition. Les propriétés de ce matériau poreux, telles que la densité ou la conductivité, sont évaluées à chaque itération en considérant, en première approximation, des pores sphériques dont la position et le rayon sont distribuées de façon aléatoire [Kantorovich, 1999]. Le renforcement de la conductivité par le rayonnement au sein des pores est également pris en compte [Staggs, 2010] à l’aide d’un paramètre qui dépend de la forme et de l’émissivité de celles-ci. Le système d'équation est résolu par une méthode de type volume finis intégrant une procédure de suivi d'interface. Les résultats expérimentaux utilisés pour calibrer les paramètres du modèle à identifier concernent la perte de masse et la température mesurée en un point du substrat, ici le balsa. Les paramètres à identifier sont les paramètres cinétiques (facteurs pré-exponentiel et températures d'activation) ainsi que la fraction de gaz capturé, paramètre essentiel puisqu'il pilote à la fois l'expansion et les propriétés thermiques de l'isolant. 

 
Références

[1] P. Boulet, G. Parent, Z. Acem, A. Kaiss, Y. Billaud, B. Porterie, Y. Pizzo, C. Picard. "Experimental Investigation of Radiation Emitted by Optically Thin to Optically ThickWildland Flames". Journal of Combustion. 2011. ID : 137437, 8 pages, Doi: 10.1155/2011/137437
[2] Y. Billaud, P. Boulet, Y. Pizzo, G. Parent, Z. Acem, A. Kaiss, A. Collin, B. Porterie. "Determination of woody fuel flame properties by means of emission spectroscopy using a genetic algorithm". Combustion Science and Technology. 2013, Volume 185, Issue: 4, Pages : 579-99.
[3] C. Lautenberger, G. Rein, C. Fernandez-Pello. "The application of a genetic algorithm to estimate material properties for fire modeling from bench-scale fire test data". Fire Safety Journal. 2006, Pages: 204–214.
[4] J.E.J. Staggs, R.J. Crewe, R.A. Butler. "A theoretical and experimental investigation of intumescent behaviour in protective coatings for structural steel". Chemical Engineering Science. 2012, vol. 71, pp.239-251.
[5] B. Monod, A. Collin, G. Parent, P. Boulet. "Infrared radiative properties of vegetation involved in forest fires". Fire Safety Journal. 2009, Pages: 88–95.

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